SOUVENIRS


Désolé, il n'est pas à vendre...


   La nouvelle avait fait l'effet d'une bombe : Bob Marley & the Wailers, dans le cadre de la partie européenne de leur tournée mondiale "Tuff Gong Uprising" faisaient halte pour un soir à Dijon (21). Ma ville de résidence, Dole (39) n'est qu'à une cinquantaine de kilomètres. Date annoncée, le 4 juin 1980. Lieu : le stade Gaston Gérard.

    J'avais 10 ans à l'époque. J'étais déjà pourtant un grand fan de Bob, que je connaissais - grâce à mes parents - depuis quelques années. C'était une occasion à ne manquer pour rien au monde, d'autant que la presse ne tarissait pas de rumeurs plus alarmistes les unes que les autres à propos de l'état de santé du grand Rasta. On disait Bob bien malade, et peut-être même que cette tournée serait la dernière avant longtemps, voire la dernière tout court !

    C'est pour cela que le jour d'ouverture de la billeterie, mon père s'arrangea pour faire le pied de grue à la caisse, afin de rafler quatre précieux billets. Les places s'arrachèrent en quelques heures...
    Initialement prévu le 4 Juin, le concert fut repoussé d'une semaine, à cause d'une polémique à propos de la pelouse du stade qui allait être saccagée, bla, bla, bla... Nouveau rendez-vous fixé au mardi 10 juin 1980 à 20h30.
    Le jour dit, on s'est pointé devant les grilles du stade vers 17h30. Il y avait déjà quelques dizaines de personnes à attendre sous le soleil. Je me rappelle l'imposant dispositif de sécurité, gardes armés et maîtres-chiens, qui nous avait fait ouvrir jusqu'à nos sandwichs pour en vérifier le contenu, avant de nous laisser entrer sur le stade.
J'ai reçu ma première claque en arrivant devant la scène, où je pouvais voir les instruments DES WAILERS !!! et la batterie DE CARLTON BARRETT, mon héros d'alors !!! J'ai eu la fièvre en apercevant en fond de scène les drapeaux de Sélassié (même si à 10 ans, j'avais pas encore tout compris à cette histoire), du lion de Juda et une immense toile représentant la pochette du dernier album, Uprising. Puis vint l'interminable attente...

 

 

   Vers 21h30, le stade était quasi-rempli, l'air déjà bien chargé de fumée bleue et nous, verts d'impatience. Tout à coup, le coeur a fait BOUUMMM : un rasta monte sur scène. De loin (nous étions à 30-35 mètres du podium), n'importe quel Rasta ressemblerait à Bob ; 16000 personnes vidèrent leurs poumons d'un coup ! Le Dread baragouina quelques mots d'anglais, et comme je n'y comprenais rien, je me suis dit "ca y est, le concert est annulé !". Il s'agissait juste d'un frère qui venait nous présenter le spectacle et nous souhaiter une bonne soirée.

    Et BAM : les WAILERS entrent en scène, alors que le soleil finit de dire "au revoir". La clameur d'une telle foule est véritablement impressionnante. Suivent les I-Threes, telles trois sirènes africaines. La plupart des musiciens portaient le génial blouson vert-jaune-rouge que l'on voit sur les photos de cette dernière tournée.

    La musique commença et on se sentit littéralement soulevé par l'énorme son de basse d'Aston Barrett. Mais toujours pas de Bob en vue. Les I-Threes assuraient en fait la première partie du show. Elles interprétèrent quelques-uns des titres à succès venant de leurs albums respectifs : That's The Way (Jah Jah planed it)Many Are Called, etc... Une bonne demie-heure de spectacle et une sacrée entrée en matière. 
    Pour la petite histoire ; comme je n'étais pas plus haut que trois pommes, mon père avait convenu d'un système simple : il me portait sur son épaule droite pendant une chanson, sur la gauche une autre chanson, et je devais passer la troisième sans rien voir, le temps qu'il se repose. Après les I-Threes, de nouveau une attente interminable. Je ne saurais plus dire combien de temps.
    Quand soudain, les lumières se rallumèrent. Les Wailers reprirent leur place et entamèrent une intro, sur un air qui m'était inconnu. Je pensais donc qu'on allait encore avoir droit à un "amuse-gueule" en attendant la star. Et il entra en scène...
Les hurlements des gens, pas racontables ! A cet instant précis, deux choses me coupèrent le souffle : Bob m'apparut tout petit ! Du haut de ses 1,64 mètres, on aurait dit un enfant qui avançait vers le public en sautillant au rythme de la musique. La deuxième fut la longueur de ses dreadlocks, 70 bons centimètres de lianes virevoltants autour de lui. Junior Marvin chauffait le public (qui n'en n'avait pas besoin) en clamant "Marley! Marley! Marley!". 
    Puis Bob s'empara du micro et fit son traditionnel accueil : "Salutations au nom de sa  Majesté Impériale Haïlé Sélassié I, Jah Rastafari, toujours vivant, toujours redoutable... Ils disent que l'expérience amène la sagesse, mais il y a une mystique naturelle qui flotte dans l'air !". Et le groupe d'entamer l'intro de Natural Mystic. De ce moment et jusqu'à la fin du spectacle, j'eus plus l'impression d'assister à une messe qu'à un concert de musique. Bob était un prêtre que les 16.000 fidèles écoutaient religieusement.

 

 



   Pendant une bonne demie-heure, la sono posa quelques problèmes : toute la colonne de baffles à notre gauche craquait, s'éteignait, provoquait des larsens difficiles à supporter. On voyait des techniciens s'affairer pour arranger la situation. On croyait la panne résolue, lorsque le piano électrique de Tyrone Downie fit des caprices à son tour. Cette fois, le show fut interrompu pendant quelques minutes, le temps qu'un technicien démonte le piano (!) et bidouille un câblage qui tiendrait jusqu'au bout du concert. Ce qui aurait pu être un tantinet agaçant se révela être une bénédiction : pour faire patienter, Bob s'adressa à nous, et en Français : "Ca va ?" (Ouuaaiiis!!!), "Ah bon !..." (Ouaaiiis!!!).

    Le concert reprit son rythme. Bob enchaînait les succès et les moments de bravoures, fidèle à lui-même et à sa réputation, dansant comme un fou sur les passages dub, faisant tournoyer ses locks pour défier Babylone (une image que je n'oublierai JA-MAIS !!)... Les Wailers derrière étaient un peu statiques, mais ils assuraient un reggae sans faille. Et cette basse, cette basse!

 

Au bout d'une heure et demie, ils quittaient déjà la scène. Le public, complice, rappela encore et encore, et Bob revînt, seul, avec sa magnifique Ovation Adamas. Il entonna seul Redemption Song, et il y eut un moment d'émotion très fort ; on le regarda chanter tout en sachant qu'il ne lui restait plus très longtemps à vivre.

    Au milieu du morceau, Seeco le percussioniste regagna ses instruments et accompagna Bob, bientôt suivi par Carlton Barrett, puis par tous les Wailers, pour finir le morceau d'une manière grandiose. Je me disais qu'ils allaient encore en chanter une ou deux, puis basta ! 
    Que dalle !! Ils sont restés encore plus d'une heure, pour les classiques Is This LoveCould You Be LovedKinky Reggae et le final Get Up, Stand Up, où l'on a tous chanté avec Bob en répondant à ses "Wo Yo Yo Yo !"...
    Puis Bob sortit de scène, définitivement cette fois. Les Wailers jouèrent les dernières notes pour nous dire au revoir, tandis que Junior Marvin fit la présentation des musiciens et un petit speech pour nous remercier et nous saluer.
    C'était fait... Fatigué (et je vous dis pas mon père), la tête pleine de musique et de rêves, j'ai dit adieu au Tuff Gong. 
         Un an plus tard, l' Honorable Robert Nesta Marley, O.M. nous quittait. 
              Il me manque.
                    C'était le meilleur.

Frank A-C

 

PS : un document sur la dernière tournée existe en vidéo (difficile à trouver cependant) : il s'agit de "Bob Marley Live in Concert - Dortmund 1980", par le réalisateur allemand Stefan Paul.

CHANSONS INTERPRETEES :
I-Threes : Precious World - Save Peace - Many Are Called - That's The Way (Jah Jah Planned It)

Bob Marley & The Wailers : Intro - Natural Mystic - Positive Vibration - I Shot The Sheriff - War/No More Trouble - Zimbabwe - Zion Train - No Woman No Cry - Jamming - Exodus - Redemption Song - Natty Dread - Work - Kaya - Roots, Rock, Reggae - Is This Love - Could You Be Loved - Kinky Reggae - Get Up, Stand Up